Laboralys n°28 | Marc Gruslin, sculpteur et passeur d'éternité
Tweeter Bouffée de fraicheur avec la découverte du magnifique atelier de Marc Gruslin, à Bossière. Niché au milieu d'une nature généreuse, totalement ouvert sur l'extérieur, inondé de lumière, son lieu de travail en ferait rêver plus d'un. Comment espérer meilleure synergie entre nature de l'ouvrage et environnement qui l'entoure, dans un respect mutuel soigneusement étudié par l'artisan lui-même.
Marc sculpte la pierre, la façonne à son gré, selon ses aspirations, ses envies et à l'écoute minutieuse de sa clientèle. Tel un messager de l'éternel, il imprime dans la masse rocheuse des mots, des symboles, des effigies, autant de messages qui aspirent à l'immortalité, pour résister aux affres du temps et de l'usure. Transmettre et subsister, comme une course folle contre l'oubli, Marc est le lien entre l'être et le devenir. Il est un passeur d'éternité.
La pierre bleue comme matériau brute, extirpée des entrailles de la terre et à peine transformée avant de passer sous le ciseau, la gouge ou la gradine du sculpteur. Son coeur lui est inconnu avant qu'il en ait extrait le moindre éclat de roche. Le façonnage de la forme est un travail à l'aveugle, un enfouissement dans le corps inerte du cristallin, une plongée en apnée dans un milieu minéral, requérant un dialogue poétique et subtil entre l'artisan et le matériau.
Le clapotis d'un ruisseau, qui coule à deux pas de l'atelier, déverse la basse continue dans une partition pointée de croches, à chaque fois que le ciseau vient arracher un millimètre de matière au bleu de la pierre. Grain par grain, le message prend forme. Jeux de patience et de surfaces, multiples, nombreuses, complexes, intersectées, parallèles, courbes et planes. Des gestes qui font parler la pierre, sous le contrôle minutieux d'un regard acéré et d'une émotion tactile au contact de la matière. Doigts sensibles et peau poreuse au minéral.
La rencontre entre Marc et la roche se fit en 1994, sonnant comme une évidence. Autodidacte, curieux, passionné, avide de planter un savoir dans un terreau riche et immuable, la synergie avec le minéral marqua un tournant important de sa vie. C'est dans sa trente-cinquième année que la taille directe devint une vocation pour Marc et cette passion ne le quitta plus depuis lors. Ses créations parlent d'elles-mêmes, comme une force subjective, grâce à une simplicité à fleur de peau et un langage de beauté. Mais leur spatialisation dans la nature environnante et au sein même de l'atelier leur donne un éclat supplémentaire d'élégance inexplicable. C'est probablement l'irrationalité de cette élégance qui doit être le secret de la beauté et la manifestation d'une grande sensibilité chez son artisan.
Les quelques photographies de ce reportage ne couvrent que très partiellement et modestement le talent de Marc. Car au-delà des formes et de la matière, il y a le choix de vie d'un artisan qui vit de son art et du temps. Le temps, cet élément raréfié, derrière lequel la société court avec frénésie comme un animal asphyxié.
Reportage publié le 5 mai 2013.