Laboralys n°16 | Plume et charbon [archéologie industrielle]


On entend encore le son des bottes sur le charbon pulvérisé. Des fumées de poussière décollent du sol comme aspirées par un ouragan, mangeur de vies. La poudre noire se déplace au sol comme dans les airs. Des machines goulafres se gavent nuit et jour de la matière extraite des entrailles de la terre, de ses tripes, de son coeur même. Les visages sont noirs, souillés, un mégot au coin de la bouche. Les yeux hagards de la couleur de son bleu de travail se perdent dans l'ombre portée par l'immense amoncellement de briques et de métal, comme de bric et de broc. Encerclé, enseveli sous des tonnes de gravats, des boutons poussoirs aux pelles mécaniques, tout sent la houille, tout est noir et en mouvement. L'humain comme la mécanique se saignent à la tâche pour s'engrener dans le grand mouvement inertiel du monde industriel.



Des murs fissurés, des bris de vitres, des machines brisées, des broyeurs démantibulés, des courroies usées, des passerelles rongées, s'échappent encore les sons tempétueux d'un passé révolutionnaire. Une révolution industrielle qui transforma Farciennes en une immense zone d'activité économique, de l'extraction de la houille à son triage et son lavage. Les rails que l'on retrouve aujourd'hui fossilisés dans la poudreuse noire amenaient il y a plus de quarante ans les masses grouillantes de travailleurs vers le centre névralgique d'un système nerveux en perpétuelle activité. Ils repartaient les wagons pleins de coke. Des milliers d'employés vivaient de l'or noir comme d'un Eldorado. Avec la fierté d'être détenteurs d'un savoir précieux, le don d'extirper le charbon du ventre de la terre, au péril de leur vie. Le talent de ces travailleurs faisait tourner l'engrenage économique.

C'est comme un Pompéi que cette exploration industrielle. Des résidus du passé comme fossilisés, figés dans les strates du temps, on entend encore le son des courroies fantômes, on sent encore l'odeur de la houille qui se consume. Et puis cette plume blanche posée à même le passé, comme un signe, comme une invitation.


Reportage publié le 8 avril 2012.